Le jardin de l'herboristerie

Leconteur fut dirigé vers l'herboristerie. Là, il remarqua les nombreux bocaux vides qui n'attendaient qu'à être emplis par les plantes, poudres et autres onguents. La pièce était fraiche et aérée, conditions idéales pour la conservation des remèdes. Pour le séchage des plantes, l'extérieur ferait bien l'affaire.

Par une fenètre entrouverte, il remarqua un jardin encore inculte, adossé à l'herboristerie sur un coté et entouré de murets sur les 3 autres flancs. La terre y semblait riche, légèrement sableuse donc légère. Avec un peu d'amendement, il serait surement facile d'y faire pousser les plantes médicinales.

Déposant son sac à plante à l'intérieur de l'herboristerie, il ouvrit sa besace pour en sortir la lame d'une binette, un martelet, un coin en bois, un cordeau et des pieux. Décrochant le manche attaché dans son dos, il emboita la lame de la binette sur ce dernier et l'immobilisa en inserrant le coin à l'aide du petit maillet.

Me voici armé !, se dit Leconteur, Au travail maintenant !

Il se débarassa de sa veste et ne conserva que sa chemise et ses braies. Il attrapa le cordeau, les pieux et le maillet.

Arrivé dans le jardin, il commença une drole de chorégraphie, arpentant le terrain pour en déterminer sa longueur et sa largeur. Puis il subdivisa ce dernier en 6 rangées et 4 colonnes, espacées par des travées pour le passage.
Il planta les pieux pour en délimiter les surfaces et tira le cordeau entre eux. Une véritable toile d'araignée.

Il bina légèrement la terre pour butter les espaces qui seront bientôt les lieux de culture. Le jardin prenait forme, il manquait encore les plessis pour retenir la terre. Ceci sera la prochaine étape. Le tout était d'aller chercher de l'osier ou des branches de chataigners pour tresser les plessis, mais cela serait l'occupation du soir, devant la cheminée.

Leconteur y passa toute la matinée, suant sang et eau à dresser le jardin sous le regard des fois interrogatifs des visiteurs et des malades. Ils devaient surement le prendre pour un fou et se dire que l'hospital devait avoir une aile réservée aux follets et autres possédés.

Quand le soleil fut au zénith, Leconteur se mit à l'abri sous une soupente et déjeuna d'un pain et d'une gousse d'ail. Puis il se remit au travail. Il attrapa un seau d'aisance encore vide et parti vers le ruisseau chercher de la terre lourde. Il fit ainsi une cinquantaine de voyages. A chaque passage, il entendait les intendants de l'hospital le maudire pour le désordre et la sallissure qu'il mettait de partout. mais il n'en avait cure. Seul compter le Grand Dessein du jardin d'apothicaire.

Quand il en eut le volume requis, il répartit la terre riche un peu partout dans le jardin et la mélangea avec celle plus sablonneuse qui s'y trouvait. Si ce n'est le mélange parfait, au moins, le sol était bien amendé suffisamment pour la culture des simples.

Le soleil commençait déjà à tomber vers l'occident. La meilleure heure pour faire les plantations. Il alla donc chercher son sac et sa besace. Il commença par repiquer les plantes tout le long des murs.
Au Nord-Est, les "Costo", puis à coté vers l'Ouest les "Fena Graeca", puis les "rosmarino" et les menta. Au Sud, à l'ouest les lilium et à l'est les rosas. Et contre le mur Est les fasiolo et les sataregia.

Puis il s'attaqua aux 8 parterres centraux, en séparant les feniculum, les pulegium, les lubestico les gladiola, les cumino, les ruta, les sisimbria et les salvia.

Ainsi, presque chaque maux avait sa plante. On y trouvait même les plantes réputées pour soigner les maladies des femmes, comme l'armoise ou la mélisse.

Il n'avait volontairement pas planté les herbes dites maléfiques, comme l'aconit tue-loup, l'aconit napel, le doronic romain, la cigüe, le pavot ou l'alchemille. Trop dangereuses dans des mains non averties ou perverties.

Content de l'ouvrage fait, Leconteur regarda le travail fait. Il manquait encore les plessis pour que le jardin ait vraiment une allure de jardin médicinale, mais le gros du travail était fait.

Il passa le reste de la journée, jusqu'au crépuscule, à faire les allers et retours jusqu'au ruisseau pour puiser l'eau nécessaire à l'irrigation des nouvelles plantations.

Le soir même, Leconteur s'endormit du sommeil du juste, heureux de ce nouveau jardin humaniste.

Il revint le lendemain matin, juste après rempli un office funèbre au tout petit jour. D'un oeil aguerri, il inspecta chaque plantation. La sauge avait bien souffert et ne reprendrait sûrement pas ; il nota dans sa tête qu'il faudrait donc repiquer un nouveau plant.
Pour trois à quatre autres variétés, la conclusion était la même. Rien de bien grave, il faudra juste dédoubler les pieds de son jardin privé pour remplacer les manques du jardin hospitalier.

Il se mit donc à aller arroser les plantations. Il avait, la veille, caché le seau d'aisance emprunté dans la salle commune. Personne ne s'était encore aperçu de sa disparition. Tant mieux, il comptait le conserver pour le jardin.

En venant, il avait aperçu le puits de l'hospital dans un recoin du cloitre.


Tant mieux,se dit il, point besoin d'aller faire des allers et retours jusqu'au ruisseau comme hier. Cela sera moins éreintant.

Il se mit donc en demeure d'arroser les nouvelles plantations, pour lesquelles l'arrivée de cette eau fut bénéfique. L'air s'emplit de l'odeur d'humus mouillé, un vrai plaisir pour tout jardinier.

Maintenant que cela est fait, allons de ce pas saluer mes confrères et voir si quelques malades n'auraient point besoin de remèdes.

Il se lava les mains dans l'eau claire du seau, les essuya sur son paletot et prit le chemin des couloirs. Sa tête bouillonnait déjà de nouveau projet, comme un petit jardin d'agrément à placer au centre du cloitre. Un petit jardinet de fleurs et de buis, propice à la réflexion et à la retraite spirituelle.